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------------------PASSAGE D'ENCRES
--------------- n° 33

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Le numéro 33 de la revue Passage d’encres
conclue une première année d’un séminaire organisé autour de la
poésie numérique. Au cours de réunions mensuelles des universitaires et
des poètes tentent de définir les nouveaux points de vue qui
accompagnent le recours à la programmation et de répondre aux questions
que peut se poser un lecteur non familier du numérique mais désireux de
découvrir des intentions et des démarches certes autres mais qui
concernent toute la poésie.

Coordination et maquette :
Louis-Michel de Vaulchier et Alexandre Gherban.
Artiste invité :
Philippe Castellin.(interventions et estampe originale [Collector])
Questions et théories : séminaire “poésie numérique”
Philippe Bootz, Serge Bouchardon, Evelyne Broudoux, Jean Clément,Luc Dall’Armellina,
Louis-Michel de Vaulchier, A. Gherban, Tibor Papp, Alexandra Saemmer, Antoine Schmitt.
Interventions : Philippe Boisnard, Francis Edeline.

20 € - Distribution Sodis.

 

sur le contenu de ce numéro :

Jean-Pierre Balpe,
blog Libération

Extension du domaine de la poésie

Le champ de la poésie ne cesse de s'élargir. Après avoir été pendant des siècles essentiellement orale, puis quelques autres siècles essentiellement écrite, revisitant son histoire, elle conquiert aujourd'hui à peu près tous les domaines possibles d'expression au point que l'on ne sait plus très bien désormais de quoi l'on parle quand on parle de poésie.

En témoignent deux publications récentes, toutes deux intéressantes à ce titre bien que très différentes. Il s'agit d'une part de "Poésie Marseille 2007", petit ensemble gratuit édité par "Poésie Marseille" (on doit certainement pouvoir se le procurer auprès du CIPM) qui rend compte du festival du même nom qui s'est déroulé en 2007; et d'autre part du numéro 33 de la revue Passage d'encres consacré à la poésie numérique. Ces deux publications sont en effet très représentatives de ce qui se passe dans une poésie contemporaine qui a en grande partie quitté le territoire du papier pour explorer l'ensemble des possibilités des langues, ce terme étant lui-même compris dans un sens encore plus extensif que le "système de signes vocaux et/ou graphiques, conventionnels, utilisé par un groupe d'individus pour l'expression du mental et la communication" (Larousse du vingtième siècle) puisque la poésie inclut, depuis très longtemps des signes iconiques (calligrammes notamment) et, de nos jours au moins, des signes corporels au travers de la performance et des signes dynamiques au travers de la vidéo.

Parce que la langue est ce qui est à la fois le plus partagé et le moins collectif, la poésie contemporaine explore ainsi toutes les possibilités de tout ce qui peut "faire langue", elle tente d'explorer l'ensemble des systèmes de signes utilisés pour l'expression de toute forme possible de communication. Ce faisant elle se situe de plus en plus à la limite des autres arts qui travaillent eux aussi sur une expressivité spécifique de ces signes. C'est ce qui en rend la définition de plus en plus floue et qui fait à la fois toute sa difficulté et tout son intérêt.

J'ai déjà évoqué rapidement dans d'autres notes ce que, avec une certaine exagération métaphorique, j'appelle les "attracteurs étranges" de la poésie, expression qui, dans la théorie des fractales, désigne une figure dans l’espace des phases représentant le comportement d’un système dynamique où l’attraction des trajectoires autour de l’attracteur est liée au caractère dissipatif du système réel. Ce qui m'importe donc dans cette métaphore c'est qu'elle me semble bien désigner le comportement actuel de l'écriture poétique qui, considérant la langue comme un système dynamique pouvant à tout moment se dissiper dans l'insignifiance de l'usage ordinaire, entièrement tourné vers une pragmatique de l'action, cherche le point d'attraction qui va permettre l'effet poétique, c'est-à-dire le regroupement soudain autour d'un sens possible souvent inattendu sans aucun souci de son efficacité pragmatique, c'est-à-dire la production d'un sens pour la mise en évidence de la production même du sens.

Dans cette approche, toute possibilité signifiante peut alors produire une écriture poétique ce qui ne signifie pas que tout y réussit mais ce qui a aussi pour effet secondaire plutôt négatif de laisser croire que l'on peut, au nom de l'écriture poétique, faire n'importe quoi comme le prouvent nombre de performances plus ou moins ratées et insignifiantes et quelques unes des propositions des deux ouvrages signalés en début de note. La poésie glisse alors dans le dérisoire, la parodie, la caricature… car l'attraction qui se focalise autour de l'une ou l'autre des façons d'utiliser l'un quelconque des signes tout en essayant de maintenir l'équilibre de leur ensemble se joue sur le fil du rasoir, elle peut, pour une valeur infime, se produire, ou ne pas se produire. La poésie est lorsque ces effets d'attraction créent une forme totalement neuve et totalement pertinente. Ainsi la même performance peut, un jour, dans telles ou telles conditions, être une réelle réussite et un autre jour, dans d'autres conditions, un échec absolu; de même, le même programme de génération poétique peut, pour des raisons parfois difficiles à maîtriser, produire des textes parfaits ou des textes inutiles. L'écriture se concentre autour d'un ou deux points susceptibles de réaliser une figure inattendue dans la langue.

C'est en ce sens que ces deux ouvrages sont vraiment intéressants car ils permettent, soit au travers des discussions théoriques de la revue passage d'encres, soit par les vidéos de poésie-marseille, de mesurer où se joue le poétique et de quelle ténuité est ce lieu où se passe, ou non, ce jeu. Les exemples de poésie-marseille permettent, grâce en partie au vidéos de voir les moments où une telle figure se dessine; les discussions de la revue passage d'encre, qui ne portent que sur des points théoriques, montrent, dans l'extension ouverte de la problématique qui, pourtant, ne porte que sur la poésie numérique comment le champ du poétique reste ouvert et indéfini, comment il se joue aux limites, pourquoi l'attraction peut, ou non, se produire. La limite de ce numéro étant de na pas proposer d'exemples de réalisation qui auraient permis d'affronter les théories exposées et les écrits auxquels elle se réfère car on sait bien qu'une théorie, même cohérente, ne produit pas toujours les résultats textuels qu'elle prétend sous tendre.

Rédigé par JP B… le 23 novembre 2008 à 15:00 dans Publications | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)