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Tibor
PAPP
POESIE ET ORDINATEUR
Pour analyser la poésie sur ordinateur et la poésie sur le Web
(bien que ce dernier n’étant qu’un dérivatif du
premier, puisque le cœur, le fond, l’essentiel même du Web
réside dans l’ordinateur) nous avons à déblayer
le terrain de la route qui nous y a conduit. Il est évident que cette
poésie n’a pas surgi du néant. L’approche peut se
faire selon trois axes : le premier étant la poésie d’aspect
classique mais combinatoire, le deuxième la poésie visuelle
et le troisième la poésie sonore. Le transfert de l’espace
vitale de la poésie - du papier à l’ordinateur - n’est
apparu comme évident qu’une bonne trentaine d’année
après les premières tentatives qui ont eu lieu en 1959 à
Stuttgart, en Allemagne. L’auteur audacieux de ces tentatives, Théo
Lutz, élève de la Technische Hohschule, disposait seulement
d’un ordinateur de très faible capacité. Toujours en 1959,
Brion Gysin a eu recours à l’ordinateur avec l’aide du
mathématicien Ian Sommerville pour créer son célèbre
poème sonore “ I am that I am ”. Jean Baudot a publié
en 1964 au Canada le premier livre entièrement composé de poèmes
générés par ordinateur, intitulé “ La machine
à écrire ”. Le poète américain, Emmett Williams,
à l’occasion du sept centième anniversaire de la naissance
de Dante, a créé un hommage au célèbre poète
avec l’aide d’un ordinateur. La première anthologie des
poèmes créés par (et liés à) l’ordinateur,
“ Computer poems ” de Richard W. Bailey est parue en 1973 aux
États-Unis. En France, ce fut OULIPO, qui s’est engagé
très tôt dans cette direction. François Le Lionnais en
1961, dans le premier manifeste, LA LIPO, insistait déjà sur
l’importance de nouvelles formules imaginées et créées
d’une manière systématique et scientifique. Le poème
de Raymond Queneau “ Cent mille milliard de poèmes ” fut
la première œuvre programmée et présentée
au public en 1975. Jacques Roubaud, Paul Braffort, Marcel Bénabou étaient
les artisans les plus perspicaces de l’OULIPO. En 1982, le groupe A.L.A.M.O
(Atelier de littérature assistée par la mathématique
et les ordinateurs) dont les principaux membres étaient Jean-Pierre
Balpe, Marcel Bénabou, Mario Borillo, Paul Braffort, Pierre Lusson
et Jacques Roubaud, était le premier à considérer qu’à
côté des modes d’écriture plus “conventionnels”
l’informatique pouvait être une des voies où s’engagera
certainement la littérature. (“Prélude”, in Action
Poétique, Printemps 1984.) Jean-Pierre Balpe est devenu le spécialiste
de la génération automatique de poésies. Non seulement
il déploie une grande activité dans les recherches, dans l’enseignement
et la théorisation, mais encore il est l’auteur de nombreux générateurs
automatiques de poèmes. Citons, entre autres, sa “Litanie amoureuse”,
son “ Hommage à Jean Tardieu”, son “Roman”
et ses “1536 petits contes parfois tristes ou pervers”. J’ai
moi-même publié un générateur automatique de poèmes,
le “ Disztichon Alfa ” en langue hongroise, sur une disquette
attachée à la couverture d’un livre portant le même
titre - tout en soulignant que ce n’est plus le livre, et partant, ce
n’est plus le papier qui est l’espace vitale de l’œuvre,
il est tout au plus un manuel, un objet d’accompagnement. Ce générateur
automatique produit des poèmes dans une forme bien connue de la poésie
hongroise : le “ Disztichon ” - composé de deux vers :
un hexamètre et un pentamètre - pratiquée au 19e siècle,
et qui, en somme, est un héritage de la poésie grecque. Cette
forme m’est venue par hasard. Quelques vers trottaient dans ma tête,
dont certains composant - un ou deux mots - changeaient chaque fois que je
les faisais resurgir de ma mémoire. La valeur d’un mot à
un emplacement donné m’est apparue tout d’un coup illusoire.
Pour commencer, j’ai fabriqué un disztichon sans langue concrète
réelle, c’est-à-dire une syntaxe qui, avec des mots réels,
satisferait les exigences du genre. J’ai divisé cette syntaxe
en plusieurs unités logiques, composées d’un ou de deux
mots. Dans le premier vers, j’obtenais cinq unités ; dans le
deuxième quatre. Ensuite, j’ai commencé à rassembler
dans un réservoir la matière pour remplir les unités
avec des mots. Si possible plusieurs par unité, et de manière
à ce que pour chaque lecture la logique de la langue et les exigences
de la versification soient respectées. A ce stade, le programme à
écrire consistait à prélever au hasard un ou deux mots
correspondant aux unités et de les faire écrire sur l’écran.
Pour réaliser mon générateur, j’ai choisi le langage
de programmation HyperTalk de Hypercard sur Macintosh, que j’avais sous
la main, et dont la pratique ne m’était pas étrangère.
J’ai commencé par faire fonctionner un petit programme sur mon
premier ensemble que je viens d’énoncer. Ensuite, j’ai
fabriqué un deuxième disztichon, puis d’autres disztichons
sans langue concrète réelle, d’autres syntaxes, toujours
avec les exigences annoncés plus haut. J’en ai conçus
vingt-quatre. La racine principale du programme final gère les évènements
nécessaires au bon déroulement de la génération
automatique de poésies, à savoir, l’arrêt - par
l’intervention du lecteur - de la génération automatique,
le réglage du temps de lecture, le retour à la génération
automatique ou la sortie complète du programme, ainsi que le foliotage
sur l’écran des disztichons générés et l’effacement
de l’écran après l’écoulement du temps de
lecture. Il gère aussi le hasard concernant le choix d’une des
24 syntaxes. Choix, qui précède l’acte de la génération
d’un poème. Mon générateur est une machine très
simple. Il n’a aucune autre prétention que celle de générer
des disztichons. En dehors de cela le programme n’est pas capable de
faire quoi que ce soit. C’est un programme dédié à
une tache unique, à savoir : générer automatiquement
mes disztichons. J’insiste : mes disztichons, et pas n’importe
quels autres disztichons. Je suis adepte de la priorité de l’œuvre
par rapport au processus de la création. La complexité de mon
programme me laisse indifférent du moment que le résultat est
satisfaisant. Par contre, en ce qui concerne le résultat de la génération
automatique, j’ai une exigence absolue, celle de la qualité.
Tous les poèmes générés automatiquement doivent
satisfaire à un critère de très haut niveau. Étant
donné que ce générateur automatique de poésie
dans sa forme finale est destiné à un large publique, j’avais
envie de marquer ma position théorique selon laquelle l’œuvre
Disztichon Alfa est indivisible, par le fait que le programme ne dispose d’aucune
fonction pour faire imprimer les poèmes générés
automatiquement, c’est-à-dire visibles sur l’écran.
Cette volonté concorde aussi avec le fait que, dans mon esprit, l’espace
vitale de la littérature, particulièrement celle de cette poésie
générée, n’est plus le papier. Notre culture liée
jusqu’à nos jours au papier décante les données
littéraires à partir des phénomènes physiques
immuables apparaissant sur un support statique. Cette culture nous a inculqué
une vision du monde, une appréhension du monde aussi bien réel
que littéraire. Un disztichon sur une feuille de papier selon notre
culture d’hier, est considéré comme une œuvre. Je
ne peux plus accepter cette vision. Dans mon esprit, l’œuvre est
- probablement - la somme de tous les disztichons possibles, et même
le programme peut en faire partie.
Poésie visuelle
La poésie visuelle est la dénomination commune d’un ensemble
d’œuvres poétiques dont la substance principale est la langue
visible. La langue visible est un système de signes, unités
bi-face se composant d’un signifiant et d’un signifié ;
“ le signifiant, selon la proposition de Jacques Anis - dans la revue
Langue française (1993, n° 59), basée sur les réflexions
des glossematiciens danois - est graphique dans la forme écrite de
la langue ”. L’analyse de cette substance requière ses
fondements de sa spécificité même, comme l’écrit
Hjemslev : “ il y a sans doute des lois graphiques (...) qui ne s’explique
que par la substance graphique ”. Les poèmes visuels selon les
époques et la nature des œuvres ont porté des noms très
différents : carmina quadrata (poèmes carrés), carmina
figurata (poèmes figurés), labirinthi cubici, poesia artificiosa
(terme utilisé à l’époque baroque), technopaignia
(terme de la rhétorique classique pour désigner une virtuosité
technique quelconque), calligrammes, poésie concrète, poésie
spacialiste, etc. La poésie visuelle est un terme employé d’une
manière générale depuis les années 60. Pour certains
auteurs, la chronologie de la poésie visuelle débuterait en
1700 av. J.-C. avec le “ Disque ” de Phaistos mais les œuvres
communément admises comme premiers poèmes visuels dans la littérature
grecque sont du 4e au 1er siècle av. J.-C. de Simmias de Rhodes (“
L’œuf ” , “ Les ailes ”, “ La hache ”,
vers 325 av. J.-C.), de Théocritos (“ Flute de Pan ”, vers
300 av . J.-C.), de Dosiadis de Crète (“ Altar de Jason ”,
vers 100 av. J.-C.). Chez les Latins, où cette forme était peu
pratiquée, les œuvres visuelles les plus connues sont celles de
Laevius “ Pterigion Phoenicis ” (1er siècle), “ L’énigme
de Sator ” d’un auteur anonyme (2e siècle) et les 24 “
carmina quadrata ” de Publilius Optatianus Porfyrius (325). Parmi les
œuvres de la deuxième moitié du premier millénaire,
deux poètes visuels majeurs sont à retenir : Venance Fortunate
(vers 540-600), évêque de Poitiers avec ses 3 “ Carmina
cancellata ” et son poème figuré “ De Sancta Cruce
” et Raban Maur (784-856), archevêque de Mayence dont le Ier livre
du recueil de poèmes “ De Laudibus Sanctae Crucis ” (815)
est composé entièrement de “ carmina figurata ”.
Retenons au 11e siècle un poème visuel attribué à
Pierre Abélard (1079-1142) ; au 12e, les premiers poèmes visuels
en hébreu d’Abraham ben Ezra et au 13e d’Abrahan ben Samuel
Abuláfia. Au 14e siècle, les “ Canzone ” de Nicolò
de’ Rossi, et le “ Liber de disticcione metrorum ” de Iacobus
Nicolae de Dacia et toujours dans le monde latinisant, au 15e siècle,
le hongrois Janus Pannonius avec son “ Litera Pythagora ”. A partir
du début du 16e et jusqu’à la fin du dix-huitième
siècle, nous assistons à une prolifération des poèmes
visuels en Europe aussi bien en nombre qu’en genres. Les œuvres
de cette époque - surtout les œuvres baroques en Allemagne - sont
un peu plus connues. Parmi les auteurs à retenir, citons Melin de Saint
Gelays (1481-1558), Mathijs de Castelein (1485-1550), David Joris de Gand
(vers 1501-56), François Rabelais (1494-1553), Jean Antoine Baïf
(1532-89), Jean de Boyssières (155-1583), Richard Willis (1545-1660),
Albert Szenczi Molnár (1574-1633), Catherina Regina von Greiffenberg
(1633-94), Johann Helwig (1600-74), Georg Philippe Harsdörfer (1607-58),
Johann Klaj (1616-56), Johann Leonard Frisch (1666-1743), Ivan Velickovski
(1687-1726), Henryk Firley (1624), Giovanni Pierio Valeriano Bolzano (1647-1558),
Francesco Lobkowitz (1619-95), Charles François Panard (1694-1765).
A la fin du 19e siècle, Stéphane Mallarmé avec “
Un coup de Dès jamais n’abolira le Hasard ” ouvre l’ère
moderne de la poésie visuelle. Il ne cherche pas à susciter
une plus-value graphique, son but est de faire fonctionner la langue en tenant
compte de sa substance graphique, selon l’étude de Mitsou Ronat
- publiée avec la première vraie reconstitution du poème
par les Éditions Chang errant/d’atelier, 1980 - il insère
“ du blanc uniquement là où la langue a ’surdéterminé’
les liens entre les éléments disjoints ”. Le 20e siècle
de la poésie visuelle commence avec les futuristes : Filippo Tommaso
Marinetti, Ardengo Soffivi, Vélimir Khlebnikov, Alexis Kroutchenykh
; le flambeau est repris par les dadaistes :Kurt Schwitters, Hugo Ball, Lajos
Kassák, Tristan Tzara, Picabia, Richard Huelsenbeck, Raoul Haussmann,
etc. Retenons encore quelques noms d’auteurs - de la première
moitié du siècle - qui n’appartenaient à aucun
de ces mouvements : Ezra Pound, e.e. cummings, Guillaume Appolinaire, Iliazd.
Après la deuxième guerre mondiale, la poésie visuelle
prend un nouvel essort d’abord dans le lettrisme, mouvement français
dont les auteurs les plus marquants sont Isidor Isou, Maurice Lemaître,
Christian Dotremont et François Dufrêne. Au milieu des années
50 apparaît la poésie concrète en même temps en
Allemage et au Brésil. Parmi les poètes du groupe Noigandres
de São Paolo, citons Décio Pignatari, Florivaldo Menezes, Augusto
et Haroldo de Campos. En Allemage, à côté du poète
Suisse-bolivien Eugène Gomringer, Hansjörg Mayer, Carlfriedrich
Claus, Tim Ulrich, Franz Mon, les autrichiens Ernst Jandl, Gerhard Rhüm,
le Suédois Öyvind Fahlström, l’Écossais Ian
Hamilton Finlay, les américains Emmett Villiams, Mary Ellen Solt, l’anglais
Dom Silvester Huedard. En parallèle à la poésie concrète,
la poésie spacialiste qui a été marquée par Pierre
Garnier, Ilse Garnier et Henri Chopin. La révolution électronique
influence la poésie visuelle à partir de 1984-85. Les œuvres
dynamiques ont été créées sur minitel par Frédéric
de Velay, Jean-Paul Curtai ; sur vidéopar Paul Nagy, Benoit Carré
; sur ordinateur par Philippe Bootz, Claude Maillard, Tibor Papp, Paul Zelevansky.
Citons quelques poètes visuels des trois dernières décennies
dont l’œuvre est importante, mais qui n’appartiennent à
aucun de ces mouvemenst : W.S. Burroughs, Brion Gysin, John Cage, Dick Higgins,
Ladislas Novak, Adriano Spatola, H. Grappmayr, Sarenco, Klaus Peter Dencker,
Jochen Gerz, Richard Kostelanetz, Julien Blaine, Paul-Armand Gette, Alpár
Bujdosó,Tom Philips, Jean-François Bory, Bernard Heidsieck.
Les poèmes visuels, tout comme les palindromes, requièrent -
selon Philippe Dubois (La lettre et ses miroirs, in Écritures, Éd.
Sycomore, 1982) “ une matérialité du signifiant dans l’espace
” ; cette matérialité peut être statique ou dynamique.
La formalisation des poèmes visuels remonte au traité l’“
Encyclopédie allégorique ” de Raban Maur. Du 16e au 18e
siècle, nombreux sont les ouvrages traitant les données formelles
concernant aussi bien les formes visuelles se déployant dans l’espace
que les données formelles du signifiant. Ainsi du “ The arte
of english poesie ” de George (ou Richard) Puttenham (1587), jusqu’à
la Vita poetica de Lukács Moesch (1693) qui traitent aussi bien les
formes géométriques (cube, triangle, etc.) que les données
cabalistiques de certains poème (p. ex. les lettres de l’alphabet
ont valeurs de chiffres qui par addition donne la date de création
du poème). Les travaux les plus récents tel le Pattern Poetry
de Dick Higgins dans lequel on trouve le recensement le plus complet de tous
les poèmes visuels connus en occident de l’époque Hellénistique
jusqu’à la moitié du 19e siècle, la Teoria da Poesia
Concreta, les travaux du groupe µ, les travaux publiés dans et
autour des revues Doc(k)s, Magyar Mÿhely, Visible Language, les ouvrages
de Pierre Garnier, de Richard Kostelanetz dégagent une théorisation
nouvelle qui tient compte des résultats de recherches récentes
en linguistique, en sémiologie et des résultats de recherches
sur la perception humaine. Dans les ouvrages récents, on peut dégager
quelques structures donnant naissance à des formes de poème
visuel statique bien reconnaissables. Citons les principales : structures
topo-logiques et topo-syntaxiques dont la disposition des constituants dans
l’espace est le moteur de l’œuvre ; icono-logiques, icono-syntaxiques,
schémas typographiques, qui métamorphosent les signes graphiques
ou typographiques ; tychosyntaxiques donnant naissance à des œuvres
par permutation des éléments ; antisyntaxiques, compositions
lettristes et poèmes visuels conceptuels. Les structures topo-logiques
sont les plus faciles à aborder. Il s’agit - en simplifiant un
peu - d’une mise en page qui, par un emplacement judicieux, donne de
telles ambiguïtés à la lecture, qu’on ne puisse plus
la considérer comme unique et linéaire. L’analyse de la
lecture du texte éparpillé sur une page, selon une étude
de Rodolfo Hinostroza (in Un coup de Dés jamais n’abolira le
Hasard de Stéphane Mallarmé. Edition mise en œuvre et présentée
par Mitsou Ronat, réalisée par Tibor Papp), nous donne 9 unités
de coupes dont le déchiffrement se fait selon les axes de la surface.
L’incertitude du choix entre les axes crée une tension de lecture,
surtout dans les unités de coupe intitulé Pont, Fourchette et
Échelonné. Exemples : Pont : ----- ------ ------
inférant jadis il empoignai la barre de cette conflagration à
ses pieds
Fourchette : ------ ------- ------
en opposition au ciel trop pour ne pas marquer
Échelonné : ------ -------
C‘ÉTAIT SE SERAIT etc.
Certaines formes topo-syntaxiques (géométriques) de blocs de
texte donnent une base structurante pour quelques genres poétiques,
parmi lesquels citons la forme logo-mandala, fréquente dans la poésie
concrète. Ce type de poème se conforme aux propriétés
suivantes : forme basée sur des cercles et des carrés, présence
d’un centre, symétrie, parfois réversibilité. Exemple
: “Moulin”, un logo mandala de Pierre Garnier
VOILES YEUX OCEAN OCEAN MA FEMME YEUX YEUX OCEAN VOILES
J’ai créé en langages HyperTalk un générateur
automatique de logos-mandalas, dédié à Pierre Garnier,
en 1994, intitulé Absence insolite. Le centre y est immuable, par contre
les signifiant extérieurs s’y changent au hasard après
chaque nouvelle mise en marche du générateur. Les structures
iconosyntaxiques métamorphosent les signes graphiques ou typographiques.
Exemple : (poème de Pierre Garnier14)
e ! !e
Les métaphores graphiques ou formelles agissent par un détournement
des schémas graphiques ou typographiques en faveur d’une lecture
poétique, et ceci même après l’arrivé des
ordinateurs, l’ouvrage de Claude Maillard Machines vertige en est l’exemple
parfait. Cette œuvre est basée sur l’extension du répertoire.
Le répertoire est utilisé ici de façon iconique, par
une démarche métagraphique, apparentée à la métaphore.
Les structure quasi linéaires jouent l’écriture contre
la voix. Ses unités sont graphiques (les lettres) et non les sons.
Exemple :les palindromes ou les textes du type lettriste. Avant de considérer
l’ordinateur comme un lieu privilégié de la poésie
visuelle dynamique, nous remarquerons qu’il est (muni de logiciels appropriés)
un outil hors pair pour réaliser toute sortes de poèmes visuels
statiques. Dans certains cas, l’œuvre ne permettra pas de déceler
sa provenance quant à sa fabrication, car l’auteur s’est
servi de l’ordinateur uniquement pour sa vitesse d’exécution,
mais dans d’autres cas, le passage par l’ordinateur d’un
texte visuel laissera des traces spécifiques, fortement connotées
sur le papier ou autres supports rigides. Notons encore, qu’à
partir de chaque type de poèmes visuels appartenant aux différentes
catégories citées plus haut on peut entreprendre la création
de poèmes visuels dynamiques. Il n’est pas inutile de rappeler,
que depuis l’arrivée des ordinateurs un changement profond est
intervenu par rapport au papier ; l’essentiel de ce changement est le
cinétisme (latent ou réel) de l’inscription. Le fait en
lui-même existait déjà dans les œuvres cinématographiques
ou en vidéo avec des inscriptions fabriquées, mais sur ordinateur
elles sont (elles peuvent être) les fruits d’un acte spontané.
Ici, le déjà et toujours là de l’œuvre sur
le support donne sa place à une surface en gestation. Au lieu d’être
présent, le texte arrive, apparaît, disparaît. L’apparition
peut être globale et instantanée ; elle peut être un enchaînement
d’arrivées successives d’éléments concomitants
ou juxtaposés. Un contrôle s’exerce aussi bien sur les
intervalles de temps de l’arrivée des éléments,
que sur l’emplacement de l’inscription et sur la ou les directions
de son déploiement. Les éléments d’une œuvre
visuelle sur ordinateur doivent se confronter tout au long de leurs réalisations
à trois constituants hors-langue : le temps, la topographie et le mouvement.
Le texte est immuable sur le papier, sa lecture est unique ; par contre, sur
l’écran il a une durée, des temps forts, des temps faibles
qui influencent et changent la lecture n’excluant pas la contradiction.
Il y a un temps d’attente, puis un temps (le moment) d’apparition,
ensuite un temps de présence qui est la somme des temps d’états
statiques, cinétiques, scintillants ou non scintillants, latents ou
réels du texte, ensuite vient le temps (l’instant) de la disparition,
qui est généralement suivi par un temps d’écho.
Du point de vue topologique, un texte doit se conformer au sens de l’écriture
et de lecture et au système de coordonnées de la surface (en
deux dimensions réelles, en trois dimensions suggérées,
etc.) Le mouvement du texte en littérature visuelle est fonction du
temps et du déplacement de ses éléments graphiques dans
l’espace. La présence des deux facteurs donne un mouvement réel,
tandis que sans déplacement on a un mouvement virtuel (par exemple
: apparition-disparition). L’effet sur le texte de ces constituants
hors-langue peut être pervers et/ou contradictoire. Un écart
du sens résultant de deux lectures d’un même et unique
texte peut être obtenu par une lecture suivant le déploiement
temporaire des éléments et par une autre lecture qui le contredira
effectuée selon la topologie de ces mêmes éléments
du texte. On peut considérer que ce type d’effet créant
des ambiguïtés de sens selon les modalités (temporaires
ou topologiques) de la lecture est le prolongement logique de la lecture en
situation statique. Les œuvres visuelles sur ordinateur sont différentes
selon qu’elles apparaissent sur un écran de texte semi-graphique,
ou sur un écran graphique plus puissant. Les œuvres, liées
à un écran semi-graphique sont celles qu’on a pu voir
sur Minitel. La pauvreté graphique et cinétique de cet appareil
n’a pas empêché les créateurs de donner la mesure
de leur talent. En contemplant les œuvres, on peut vite se rendre compte
de l’importance des constituants hors-langue dans une structure textuelle.
C’est seul sur l’écran du Minitel qu’on trouve des
poèmes visuels statiques prévus pour être présentés
au public. Les œuvres de Didier Bay, de Ben, de Charles Dreyfus, de Pierre
Garnier en sont les exemples. On retrouve dans un certain nombre de textes,
présentés sur Minitel, la linéarité des poèmes
visuels statiques, mais la lecture - respectant ou non la syntaxe de la langue
écrite-et-parlée- influencée par le temps, la topographie
et le mouvement, est complètement changée, détériorée,
si l’on veut, retardée ou métamorphosée, en tout
cas, donne une intensité, une tension qui n’existerait pas sans
ces facteurs ; le mouvement réel ou latent, la présence et l’écho
du texte fixent un cadre visuel pour les morceaux présentés
par Fred Forest, Olivier Kaeppelin, Roberto Brocco et Claude Faur ; des textes
linéaires et un mouvement virtuel président les poèmes
de Frédéric Develay, Philippe Bootz, Mathieu Benezet, Jean-François
Bory et Sarenco. L’exploitation formelle de la topographie est évident
dans les œuvres de John Cage et Nanni Balestrini, tandis que Jean-Paul
Curtay et Tibor Papp composent leurs poèmes à partir des figures
géométriques, des contraintes toposyntaxiques, des calligrammes
et des logogrammes. Mon œuvre “ ”, par exemple, se termine
par un calligramme dynamique, c’est-à-dire par le mouvement réel
d’une pendule dont le graphisme est composé du mot “ et
” (image normale à gauche et inversée à droite)
ainsi qu’un trait reliant le mot au point central du haut du cadran.
Étant donné que les poèmes visuels dynamiques sont composés
de plans (ou écrans) successifs, leurs analyses peuvent être
divisées en deux parties, la première consisterait à
examiner les formes des plans selon les critères des poèmes
visuels statiques, la deuxième analyserait les unités dynamiques
délimitées par l’homogénéité des
effets (qui peuvent être les simples prolongements temporaires de la
forme statique initiale). Un poème visuel dynamique se composerait
donc d’une succession d’unités dynamiques d’effets
différents. Les unités dynamiques les plus simples sont ceux
où il y a mouvement de texte et/ou formation de texte échelonné
ou rythmé dans le temps. Les pièces de La fatigue du papier
de Frédéric Develay puisent leur dynamisme de l’apparition
du texte et la durée (constamment exposée à une incertitude
de présence) de ce même texte. L’unité dynamique
typique (partant d’une idée de texte, en générale,
horizontal) dans les œuvres de Philippe Bootz est le mouvement des graphèmes
formant, déformant, reformant et redéformant les unités
lexicales. La formation en mouvement de plusieurs mots en même temps
(donc en désordre) en sens vertical dans le Dressages informatiques
no 4 de Claude Maillard-Tibor Papp et la formation d’un mot d’une
manière aléatoire dans la pièce Storms d’Eduardo
Kac, poète d’origine sud-américaine, vivant aux États-Unis.
En suivant d’une manière analogique (mais tout de même
lointaine) des catégories de la poésie visuelle statique, l’unité
dynamique peut être basée sur la formation d’une bribe
de texte ou d’un mot par la présentation successive et aléatoires
de l’ensemble de ses graphèmes comme c’est le cas dans
les Dressages informatiques no 6 (Cl.M. - T. P.) Á la place des schémas
typographiques des poèmes visuels statiques, nous trouvons sur les
écrans des schémas qu’on peut considérer comme
schémas d’écriture électronique - dans sa forme
dynamique, nous avons par exemple les heures ou les secondes qui défilent.
Les possibilités toposyntaxiques et métrosyntaxiques donnent
des unités de structures convergentes et divergentes. Dans les unités
de structure divergente, le temps et l’espace se contredisent. Ce type
de structure confronte le lecteur à un mode d’écriture
qui fonctionne en même temps selon deux syntaxes, celle de la parole,
régie par le temps et celle de l’écriture, régie
par la topologie. La structure est souvent divergente dans les déplacements
ou les vagabondages des lettres sur l’écran. Notamment, dans
certaines œuvres de Philippe Bootz le départ d’une lettre,
quittant un mot change le sens de ceci et change aussi le sens du mot auprès
duquel il va accoster. Peter Rose, le poète américain déplace
plusieurs lettres en même temps, suggérant des sens par ci, par
là, mais après un ballet bien réglé, ces lettres
s’associent pour former un ensemble définitif. Parmi les structures
convergentes, citons encore la rime topo-logique. Il s’agit des signes
formels ou des graphèmes qui ont plus ou moins la même taille,
et qui apparaissent dans des intervalles réguliers au même endroit
de l’écran. Dans la 6e pièce de Dressages informatiques
(Cl. Maillard - T. Papp), la syllabe cam apparaît plusieurs fois au
même endroit, mais elle est chaque fois complétée avec
un groupe de lettres différentes pour former des mots différents
; camisole, camille, camomille, came etc. Une des structures dynamiques est
basée sur un ensemble de mots formant une phrase complète, mais
jamais visible dans sa totalité. Les mots de la phrase apparaissent
d’une manière instantanée sur l’écran, jamais
au même endroit, jamais dans la même direction et jamais dans
l’ordre (temporaire) fixé par la syntaxe. Après deux ou
trois répétitions (en désordre donc) le lecteur intériorise
le sens de la phrase, qu’il le veuille ou non. Cette unité dynamique
peut être un arme redoutable dans la panoplie du poète visuel
et aussi redouté en cas d’utilisation abusive. On peut en avoir
un exemple dans Les très riches heures de l’ordinateur no 2 (T.
Papp). L’approche formelle de la poésie visuelle dynamique est
à son début ; si nous voulons pénétrer, comprendre
et jouir des œuvres poétiques visuelles sur ordinateur, nous devons
persévérer dans nos recherches.
Poésie sonore
La poésie sonore est pratiquée à travers les cinq continents
; elle a fait son apparition au début du vingtième siècle
avec les mouvements dadaïste et futuriste, mais on en trouve déjà
des signes précurseurs à la fin du siècle dernier. La
poésie sonore est une émanation de la langue orale, celle que
défend Claire Benveniste contre la langue mixte (écrite-et-parlée),
et elle est à l’opposée de la poésie visuelle.
Un poème sonore n’a pas d’équivalent écrit,
elle est, à la rigueur, fixée sur le papier par une partition
approximative. Le terme “ sonore ” est apparu en 1958 dans le
n° 2 de la revue grâmmes (Éd. du Terrain Vague, Paris) où,
parlant de la poésie de François Dufrêne, Jacques de la
Villeglé dit que celui-ci “ apporte donc à la poésie
exclusivement sonore une solution neuve et personnelle. ” Henri Chopin
explique l’adhésion des poètes à ce terme dans
son livre Poésie Sonore Internationale (Éd. Jean-Michel Place,
Paris, 1979. p. 43). Historiquement nous distinguons deux périodes
: la première est la période orale, liée au papier ;la
deuxième (à partir de 1950-55) est la période électro-acoustique.
Parmi les pionniers de la première période, retenons les noms
de Hugo Ball, d’Alexis Kroutchenykh, de Philippo Tomaso Marinetti et
de Kurt Schwitters. François Dufrêne a été le premier
poète à acheter un magnétophone (en 1953) pour en faire
un instrument de création. Le premier montage et enregistrement électro-acoustique
d’un poème date, par contre, de 1948. Il s’agit d’une
œuvre de Paul de Vree, intitulée Ogenblick, enregistrée
dans un studio anversois de la radio locale. En 1975, Bernard Heidsieck, par
une approche plutôt musicale de la poésie sonore, a dégagé
quatre courants majeurs. Pour moi, le principal repère est la langue,
bien que ma propre typologie tienne compte des sons de toutes origines (humaine
ou autre). Ma typologie est basée sur la pratique. Le plus simple de
ces poèmes structurés est le Poème enrichi en sonorités.
Le sens du discours y évolue d’une manière linéaire,
mais cette évolution est souvent enrichie par des additions d’effets
sonores. Le Poème sonore répétitif est le résultat
de la répétition sémantiquement identique, mais avec
des intonations variées, d’un groupe de mots. Le Poème
sonore combinatoire est obtenu par la permutation de mots ou bribes sonores.
Dans le Poème phonétique (simple ou rythmé), les phonèmes
sont séparés de tout contexte et, même lorsqu’ils
sont associés les uns aux autres, n’y ont aucune vocation à
exprimer des distinctions sémantiques. La base du Poème sonore
rythmique à monèmes lexicaux est le texte rythmique ou le vers
métrique. Dans le premier cas, le rythme est déterminé
par le retour régulier des accents rythmiques. Dans le deuxième
cas, le rythme est obtenu par la division du vers en mesures. Le Poème
sonore à gisements sémantiques multiples est composé
d’événements sonores en couches superposées. C’est
par un alignement temporaire très strict des éléments
lexicaux et sonores que le fil du discours poétique acquiert une cohérence
interne. Dans le Poème en flots sonores, des monèmes lexicaux
et des événements sonores sont mélangés. Le Poème
sonore réaliste (ou concret) est basé sur les bruits humains
buccaux ou non, extérieurs au système phonologique - qui ont
en général un sens codé : hoquet, rire, râlement,
reniflement, ronflement etc.
Poésie dynamique
L’ordinateur fait partie aujourd’hui de la panoplie des écrivains.
Ce sont les programmes intervenant directement dans la création littéraire
qui ont créé un rapport nouveau entre l’homme et la machine.
L’ordinateur devenant dans ce cas non plus un outil mais le milieu même,
l’espace vital de l’œuvre. L’ordinateur possède
trois facultés : la combinatoire, le hasard et l’interactivité,
qui le distinguent de toutes les machines et tous les médias connus
jusqu’à nos jours. Ces facultés sont au cœur de tout
travail artistique visant à profiter des bienfaits de la programmation.
Combinatoire veut dire que sont remplies les conditions requises pour apposer,
par un programme approprié, sur chaque emplacement fixé d’avance
d’une structure vide, des éléments empruntés (selon
un certain ordre ou d’une manière aléatoire) à
une banque de données. Quant au hasard, tous les poètes en rêvent,
j’en suis sûr. L’ordinateur le propose à partir d’une
formule mathématique. L’interactivité représente
la possibilité qu’a le spectateur d’intervenir dans le
déroulement de l’œuvre. C’est au milieu des années
quatre-vingt que les tentatives proprement littéraires dépassent
les acquis classiques. Ainsi 1) Claude Maillard créant en 1983 ses
poèmes sonores (Mnésis, Éd. Artalect, 1983, Le Théâtre
de l’Écriture, Éd. Traversière, 1987). 2) En 1984
Orlan et Frédéric de Velay ouvrant la revue télématique
Art-Accès aux artistes, aux musiciens et aux littérateurs de
tous bords. Tentative inégalée jusqu’à nos jours.
3) En 1985, pour la première fois, au Centre Georges Pompidou, un poème
visuel dynamique : Les très riches heures de l’ordinateur de
T. Papp est présenté au public sur grand écran. 4) En
1988, les membres du groupe LAIRE(Lecture, Art, Innovation, Recherche, Écriture)
composé de Philippe Bootz, Jean-Marie Dutay, Claude Maillard, Frédéric
Develay et Tibor Papp, fondent ALIRE, la première revue à ne
publier que des œuvres littéraires liées fondamentalement
à l’ordinateur. Décrire la structure d’une œuvre
générée par ordinateur et l’algorithme qui en découle
n’est pas le but de ma démarche, mais je voudrais tout de même
attirer l’attention sur deux aspects de cette question. Selon le dictionnaire
Robert, “ l’algorithme est une suite de règles formelles
explicitées... et correspondant à un enchaînement nécessaire
”. Dans le cas de la génération des poèmes dynamiques,
il est la formalisation des mécanismes de la structure de la langue
visible ou orale et de la structure esthétique de l’œuvre.
La formalisation des mécanismes de la langue visible ou orale est le
volet qui “ fabrique ” des entités déterminées
par le poète ; d’autres paramètres du poème (rythme,
vitesse, hauteur du volume etc.) font partie d’une structure supplémentaire,
qui est celle de l’esthétique. Nous savons par ailleurs que la
complexité de la structure esthétique n’est pas obligatoirement
proportionnelle à la réussite de l’œuvre. Ceci laisse
donc prévoir qu’il n’est pas impossible d’obtenir
des ensembles visibles et/ou sonores artistiquement compétitifs à
partir d’un travail de formalisation relativement modeste. Il en découle
que la pertinence littéraire d’une œuvre ne dépend
pas du nombre de variations possibles, ni du mode ni du nombre d’interventions
de l’auditeur influençant le déroulement des événements
et ne dépend pas non plus de la complexité du programme qui
la régit. L’ordinateur de nos jours est une machine économiquement
abordable qui permet au poète un travail solitaire, et aussi un travail
intuitif avançant au gré des impulsions du moment. Si le poète
se décide à travailler et à créer ses poèmes
visuelles et/ou sonores sur ordinateur lui-même (ce qui, à mon
avis, est la meilleurs solution), alors il doit apprendre à manipuler
les logiciels et apprendre à pratiquer un ou plusieurs langages de
programmation. Les logiciels sont des outils dédiés à
certaines tâches. Dans le domaine qui nous préoccupe, il y a
actuellement des logiciels pour l’enregistrement des éléments
sonores, pour la fabrication des effets, pour les mixages, pour la superposition,
pour les arrangements séquentiels et d’autres pour le dessin
vectoriel, pour l’image pixelisée ainsi que pour l’orchestration
de l’ensemble des constituants. Chaque logiciel demande un apprentissage
relativement long pour maîtriser et exploiter ses possibilités.
En allant du plus simple au plus perfectionné, citons dans notre domaine
: Quick Recorder, Sound sculptor II, SoundEdit Pro, Cubase VST 24, Photoshop,
Illustrator, CorelDraw, Toolbook, HypertCard, Macromédia Director etc.
Programmer... ramer...
Un programme de poème sonore ou visuelle généré
sur ordinateur est une suite de commandes, de conditions, de constantes (images,
chiffres, textes, sons etc.), autrement dit, un amas d’ingrédients
pour la mise en scène d’événements structurés.
L’œuvre mue par le programme se déroule dans le temps, concrétisée
par la succession des mini-événements. L’axe principal
du déroulement peut se scinder - selon les conditions fixées
par le programmeur et à l’intérieur des frontières
délimitées d’avance - en plusieurs axes dont un seul (choisi
par une fonction, aléatoire ou non, dédiée à cette
tache du programme) servira à la réalisation du segment du poème,
puis, de nouveau, le déroulement aura un axe principal unique. Il faut
savoir que le programmeur d’un poème dynamique doit non seulement
susciter l’événement mais aussi prévoir tout ce
qui peut empêcher l’arrivée de cet événement.
En plus, dans un programme, un événement peut remplir ou ne
pas remplir un espace-temps disponible ; c’est toujours le programmeur,
qui doit déjouer cette carence par ses trucs et astuces. Le programme
doit pouvoir répondre à tous les cas de figures qui peuvent
se présenter. Le programmeur doit prévoir les carences, et proposer
une solution qui, par la nature des choses, est différente dans chaque
cas. Il ne vise pas la connaissance de tous les cas, - vu leur très
grand nombre, ce serait tout simplement impossible - mais cherche à
écrire un programme apte à analyser chaque cas et à y
apporter une réponse adéquate. C’est ça, la programmation.
Le poète programmeur est un chef d’orchestre, qui dirige les
instruments pour qu’ils s’accordent bien entre eux, qui décide
pour les sommets en volume et en amplitude, qui plante un silence là
où il faut ; il est aussi un constructeur, car c’est lui qui
fixe la structure, et même, c’est lui qui apporte ses propres
matériaux. Le programme profère toujours une certaine intelligence
à l’œuvre qui est en train de se réaliser assurant
ainsi les enchaînements dynamiques de ses constituants. Par contre,
il ne faut jamais oublier que le programme d’un poème généré
par ordinateur est toujours unique. Il ne sert, il ne peut servir à
rien d’autre, il n’est pas capable de remplir d’autres fonctions.
Il est impératif de voir clairement qu’il n’a aucune visée
en dehors de l’œuvre, qu’il est incapable de faire quoi que
ce soit en dehors de sa destination principale. Les poèmes visuels
et/ou sonores générés par ordinateur soulèvent
plusieurs questions nouvelles ; en voici les principales : 1. Bien qu’un
produit du programme d’un poème visuel et/ou sonore généré
par ordinateur soit visible et/ou audible, on se demande s’il peut être
considéré comme une œuvre, ou si, au contraire, n’est
œuvre que la réalisation visible et/ou audible de la totalité
des variantes contenues dans le programme. (Dont le nombre est souvent inimaginable
dans nos dimensions humaines.) 2. La perception visuelle ou auditive d’un
poème, résultant de la mise en marche d’un programme générateur
de poésie, est-elle d’une part, la condition nécessaire
pour attester l’existence d’une œuvre, et d’autre part,
la réalité invisible ou inaudible d’un poème -
dont la réalisation visible et/ou audible peut être assuré
par une future mise en marche du programme - en est-elle une condition suffisante
? 3. Est-ce qu’un poème visuel et/ou sonore potentiel (existant
seulement dans le programme, donc invisible et/ou inaudible) et un poème
réalisé (donc visible et/ou audible), peuvent-ils être
considérés comme équivalents ? 4. Est-ce seulement l’ensemble
des produits visibles et/ou audibles et l’ensemble des produits virtuels
appartenant à un générateur de poésie visuelle
et/ou sonore qui doivent être considérés comme constituants
de l’œuvre ou, au contraire, le programme qui génère
“ les produits ” en fait-il partie intégrante ? 5. Le programme
(possédant la totalité des produits virtuels) d’un poème
visuelle et/ou sonore généré par ordinateur est-il une
œuvre littéraire ? Le rapport entre ordinateur et poésie
visuelle et/ou sonore, entre outil et fruit du travail, peut se résumer
ainsi : 1. l’ordinateur est le lieu d’enregistrement simple et
peut être, mais pas obligatoirement, le support de la restitution de
l’œuvre ; 2. l’ordinateur est le lieu (dans certains cas
obligatoire) de la création puis de l’enregistrement de l’œuvre
et peut être, mais pas obligatoirement, le support de la restitution
; 3. l’ordinateur est le lieu de création du poème visuel
et/ou sonore et aussi, obligatoirement, le support de sa restitution. Dans
le premier cas, pour les poèmes sonores l’usage de l’ordinateur
à la place d’un magnétophone ne suscite guère de
remarques, le seul aspect qui mérite d’être ici relevé
est la qualité (à partir des machines à 16 bits) du son
numérisé. L’enregistrement se fait toujours à l’aide
d’un logiciel et dans beaucoup de cas ce logiciel assure aussi l’audition
de l’œuvre - le poème étant linéaire, on peut
copier sur bande magnétique ou sur CD-Audio. On peut dire la même
chose en ce qui concerne les œuvres visuelles scannées. Dans le
deuxième cas l’ordinateur, avec ses logiciels (avec ou sans cartes),
intervient dans l’élaboration de la forme finale de l’œuvre,
dans l’enregistrement et les déformations des ensembles visuels
et/ou sonores, dans la fabrication d’effets, tels l’écho,
le retournement, et aussi, dans l’assemblage des morceaux travaillés,
c’est-à-dire la création d’une structure poétique.
La restitution de ce type d’œuvre ne nécessite pas un ordinateur.
Les œuvres définies par le troisième cas sont toutes des
poèmes visuels et/ou sonores dynamiques. Dans ce groupe, on peut prendre
deux directions (très proches l’une de l’autre) : la première
est celle où un ordinateur et ses périphériques interviennent
par des procédés divers (déformations, retardements,
répétitions etc) en grande partie préparés et
programmés d’avance, dans le déroulement (qui en même
temps est l’acte de la création) de l’œuvre unique,
non renouvelable. Ce type de poème dynamique a émergé
il y a trente ans, dans les performances, par exemple, de Larry Wendt. La
deuxième : l’ordinateur, avec ses logiciels, intervient dans
l’élaboration de la forme finale des éléments,
dans les déformations des ensembles visuels et/ou sonores, dans la
fabrication d’effets, et aussi dans l’assemblage des morceaux
travaillés, ainsi que dans l’enregistrement de la matière
sonore constituant la banque de données. Le programme, l’esprit
de l’œuvre (créé et enregistré sur le même
ordinateur), au moment de la réalisation, va extraire de la banque
de données, d’une manière simple ou aléatoire,
une suite visuelles et/ou sonore et la fera entendre et/ou voir. Chaque mise
en marche du programme donnera naissance à une nouvelle suite - c’est-à-dire
un nouveau poème visuel et/ou sonore généré par
ordinateur.
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